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Algérie : justice pour les victimes d’octobre 1988
Pour Yacine Teguia, membre du bureau national du MDS, « une justice de transition qui prendrait en charge les victimes d’octobre 1988 n’est donc pas juste une exigence en faveur de « plus » de justice, liée à une plus grande indépendance de l’institution, c’est une nécessité pour aller vers un état de droit ». Analyse.
Au moment où nous commémorons la mémoire des morts d’octobre 1988 et que nos pensées se dirigent vers les blessés et les victimes de la torture, tout nous dit qu’il est impossible de s’en tenir au droit constitutionnel « pur » pour empêcher la répétition des horreurs qu’a connues l’Algérie. La Constitution de 1976 ne comportait-elle d’ailleurs pas une condamnation du recours à la torture ?
En réalité l’arbitraire est une caractéristique d’un état de transition. C’est donc la transition historique vécue depuis l’indépendance qu’il faut faire aboutir pour pouvoir adopter de nouvelles valeurs, de nouveaux principes et de nouvelles lois constitutives de l’état de droit démocratique. Dans ce processus la justice de transition joue un rôle décisif. En effet comme l’écrivait Mohamed Tayeb Achour en introduction à « Mots dire la torture » un recueil de textes sur la torture édité par le comité national contre la torture, il faut « questionner la question ».
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En interdisant un procès symbolique de la torture, en procédant à une amnistie sans vérité ni réparation le pouvoir a ajouté de la souffrance à celle qui existait déjà. Il est même aller plus loin dans l’ignominie en imposant la prise en charge des blessés et des victimes de la torture par la sécurité sociale, faisant ainsi assumer aux travailleurs ses propres crimes. Un dévoiement de la solidarité qu’il faut réparer en remboursant la sécurité sociale. Au final, l’amnistie prononcée après octobre 1988 et tout le dispositif de dénégation de la torture ne visaient pas à donner leur place dans une nouvelle Algérie à ceux qui s’étaient rendus coupables de crimes contre l’humanité, elle visait à les disculper et à pérenniser le système. Du coup, à la colère, le pouvoir a ajouté le ressentiment alimentant ainsi le vote sanction contre un système qui refusait ne serait-ce que de s’amender. Il ouvrait ainsi la porte à de nouvelles violences et à une nouvelle amnistie sèche.
Une justice de transition qui prendrait en charge les victimes d’octobre 1988 n’est donc pas juste une exigence en faveur de « plus » de justice, liée à une plus grande indépendance de l’institution, c’est une nécessité pour aller vers un état de droit. Ce n’est pas la démarche quantitative, qu’au mieux on peut prêter à Tebboune, mais une démarche qualitative. Elle consiste à répondre à la souffrance des victimes et à restaurer leur dignité. C’est une procédure de médiation, mais c’est aussi un acte de reconstruction de la communauté nationale, sans lequel il sera impossible de solder le passé, ni de légitimer l’avenir. Elle devra s’accompagner de la remise des dossiers constitués par les services de sécurité aux victimes de la répression ou à leurs familles.
Tebboune constitue un obstacle dans cette démarche, il vise au mieux la régulation du système, pas le changement, qu’il réduit à sa propre accession au Palais d’El Mouradia et à l’adoption d’une Constitution qu’on imagine sur mesure. Le caractère arbitraire de son pouvoir nous mène inéluctablement d’une presse bâillonnée à la répression des libertés, de l’emprisonnement des opposants au déchainement à venir de la torture. Pour rendre justice aux enfants d’octobre 1988 et à tout le peuple algérien, il faut d’abord en finir avec le système dont Tebboune est aujourd’hui l’incarnation.
Yacine Teguia
Membre du bureau national du MDS
Alger, le 5 octobre 2020