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Merzoug Touati : « Baba Nedjar est convaincu qu’il sera innocenté et libéré un jour »

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Merzoug Touati : «Baba Nedjar est convaincu qu’il sera innocenté et libéré un jour»

Merzoug Touati, qui a goûté à la prison pour ses activités journalistiques et politiques, entre 2017 et 2019, avait passé un mois dans la même prison que Mohamed Baba Nedjar, l’un des plus anciens détenus politiques en Algérie. Un militant mozabite du FFS qui a été condamné à passer toute sa vie en prison, pour un crime qu’il n’a jamais commis. Du fond de sa cellule, il réclame, 15 ans après son arrestation en 2005, un procès équitable. De son vivant, le Dr Kameleddine Fekhar l’avait défendu jusqu’à son dernier souffle. « La police politique avait demandé à Baba Nedjar de témoigner que j’ai tué un Mozabite, Brahim Bazine, ce qui était faux et un coup monté par les services de sécurité. Il a refusé et c’est pour cette raison qu’il a été condamné à mort à ma place », racontait Kameleddine Fekhar, qu’on a laissé mourir dans sa cellule en 2019. Avec le Hirak, plusieurs militants exigent la libération de l’innocent Mohamed Baba Nedjar.

Merzoug Touati nous raconte dans cette interview les quelques semaines qu’il a partagées avec Baba Nejdar à la prison de Blida. Entretien

Dzvid : Vous-avez passé un mois, en 2018, dans la même prison avec l’un des plus anciens détenus politiques en Algérie, Mohamed Baba Nedjar. Quel était en général son état d’esprit ?

Merzoug Touati : J’ai passé environs un mois avec Mohamed Baba Nedjar à la prison de Blida. Il me paraît que c’est un homme qui a une forte personnalité. C’est un type qui s’adapte facilement à toutes les situations dans le milieu carcéral. C’est une personne très patiente et qui a du courage. Il passe la majorité de son temps à bouquiner. Il a énormément de livres qu’il ramène de la bibliothèque de la prison.

Lire : Merzoug Touati libéré

Il consacre aussi une bonne partie de son temps à pratiquer la religion, notamment à prier. Baba Nedjar assure la tâche de l’imam et incite les prisonniers à la pratique religieuse. Les prisonniers se retrouvent l’après-midi et c’est une occasion pour eux de faire la prière collective et ils font confiance à Mohamed Baba Nedjar. Il pratique aussi le sport et surtout le football. Baba Nedjar aide aussi les prisonniers. Il leur répare par exemple leurs chaussures, ce qui n’est pas facile dans une prison et assure d’autres services à l’ensemble des prisonniers, au point d’inculquer l’esprit de solidarité entres les détenus. De façon générale, Baba Nedjar sait dans son for intérieur qu’il est innocent et qu’il est victime d’un complot politique. Toutefois, il n’est pas bavard et ne parle pas de son affaire aux autres détenus.

Dzvid : Mohamed Baba Nedjar garde-t-il l’espoir de sortir un jour ou s’est-il résigné à son propre sort ?

Merzoug Touati : C’est un homme profondément convaincu que la vérité sur son affaire finira par jaillir un jour. Je parle avec lui souvent et il m’a confié qu’il sait bien qu’il sortira un jour de la prison la tête haute. Il m’a raconté que le jour où il a été jeté en prison à vie injustement, son père lui a dit ceci : « Mon fils, tu es rentré en prison un homme et tu en sortiras un homme ». Une phrase lourde de sens que Mohamed me répétait souvent.

Il garde toujours espoir de sortir de la prison et il sera innocenté. Je vous donne la preuve qu’il n’est pas pessimiste, il a mené plusieurs grèves de la faim pour réclamer un procès équitable qui prouvera son innocence. Cette grève est un acte de résistance. Un homme qui résiste est un homme qui ne baisse jamais ses bras. Il a mené une grève, pour rappel, de plus de 100 jours.

Même avant qu’on se sépare, on s’est entendu d’entamer lui et moi une grève de la faim, le premier mars 2018. J’avais de la chance et j’étais libéré avant cette date. Baba Nedjar était très content d’entamer une grève de la faim avec moi. A ce jour, Baba Nedjar me passe un bonjour à chaque fois que son frère Abdelaziz lui rend visite à la prison de Blida, pour vous dire qu’il garde toujours le contact avec l’extérieur et il suit tout ce qui se passe en dehors de la prison, après avoir passé 15 ans derrière les barreaux.

Dzvid : Vous-avez certainement parlé avec lui de son affaire… qui l’a mis au juste dans cette situation ? On parle du général Toufik. Vous a-t-il cité des noms ?

Merzoug Touati : Baba Nedjar affirme que la situation dans laquelle se trouvait à l’époque le Dr Kameleddine Fekhar était la cause de son accusation. La situation des Mozabites et le poids du FFS au sein de cette communauté sont aussi pour beaucoup dans cette affaire, selon toujours le militant Baba Nedjar. Depuis des années que Baba Nedjar analyse sa situation. Il dit que le pouvoir a profité d’une petite mésentente lors de dernier procès en 2009 entre le FFS et Kameleddine Fekhar, pour s’acharner contre les militants mozabites du FFS. Il ne m’a pas cité des noms, ni même le nom du général Toufik. Il m’a cité un seul nom, un nom que j’ai oublié. C’était le wali de Ghardaïa de l’époque. Selon Baba Nedjar, c’est ce wali qui a tout ficelé et qui a tout manigancé contre lui et contre d’autres militants mozabites du FFS. Ce wali est devenu par la suite ministre. L’essentiel, c’est le seul nom que Baba Nedjar m’a cité.

Dzvid : Ses proches disent que Mohamed Baba Nedjar est placé en prison avec des criminels dangereux et qu’il est souvent agressé…

Merzoug Touati : Selon la loi pénitentiaire, Baba Nedjar est considéré comme un criminel qui a commis un homicide volontaire et il est condamné à la perpétuité. Donc il est mis avec des criminels qu’on estime de sa catégorie. Et comme vous savez, ceux qui sont condamnés à mort ou à la perpétuité sont des gens dangereux qui ont vraiment commis des crimes ou encore des barons de la drogue. Cette catégorie de prisonniers est dangereuse et des détenus créent souvent des problèmes et un climat de violence entres eux. Je n’ai pas échangé avec Baba Nedjar au sujet des agressions dont il aurait été victime. Toutefois, il m’a raconté qu’il a été agressé par un des gardiens de la prison de Saïda et une autre fois par un gardien de la prison de Khenchela.

Dzvid : Racontez-nous comment vous et Mohamed Baba Nedjar aviez fêté Yennayer dans votre cellule à la prison de Blida ?

Merzoug Touati : Depuis mon incarcération à Béjaïa et à Bouira, je demandais souvent à des anciens détenus s’ils n’ont pas croisé Mohamed Baba Nedjar et ils me disaient tous « jamais ». Un jour, lorsque j’étais transféré à la prison de Blida, ils m’ont mis avec les condamnés à mort puisque je suis condamné à 10 ans de prison et pour des raisons politiques. La direction pénitentiaire m’a mis dans le bloc dit « de haute sécurité » qui porte la lettre « B ». Un bloc de 20 cellules de condamnés à mort.

Au troisième jour, j’ai demandé si mes codétenus connaissaient Baba Nedjar et c’est là qui j’ai appris que j’a pris la cellule de Baba Nedjar. Lui, il a été transféré à la prison de Koléa. J’ai compris aussi qu’ils ne voulaient pas que je croise Baba Nedjar. Moi je n’étais pas bien sur le plan psychologique et j’ai entamé une grève de la faim de 20 jours. Les responsables de la prison de Blida étaient dans l’embarras suite à ma grève. Ils ont été informés par un détenu « indicateur » que je voulais voir Baba Nedjar. C’est ainsi qu’ils sont allés à Koléa et ont ramené Baba Nedjar.

Ils m’ont fait comprendre que si je mettais fin à ma grève de la faim j’aurais le droit de voir le détenu mozabite. Effectivement, j’ai mis fin à ma grève de la faim et j’eu l’occasion enfin de voir Baba Nedjar. Chacun de nous occupait sa propre cellule, mais on avait toute une journée pour se voir. On passait beaucoup de temps ensemble et on discutait des heures et des heures.

Concernant Yennayer, Baba Nedjar est un Mozabite, et moi, avec deux autres condamnés à mort, Kabyles, on a décidé de fêter Yennayer. Deux jours avant la fête de Yennayer 2018, Baba Nedjar a promis de nous faire une tarte. Comme la pâtisserie est interdire en prison, Baba Nedjar nous a préparé, avec les moyens de bord, une belle tarte. Le matin du 12 janvier, qui correspond au premier jour de l’an berbère, nous avons fêté Yennayer avec notre tarte et on a parlé de nos jours en liberté et de notre culture en général et un peu de politique.

Voilà comment on a fêté ce fameux Yennayer avec Mohamed Baba Nedjar. Je veux juste ajouter que Baba Nedjar m’a parlé dans les détails de son affaire et j’ai tout noté dans mon carnet. Je compte publier ces informations un jour.

Propos recueillis par Abdenour Igoudjil

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