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Septembre 1973 : Coup d’Etat au Chili et tentative d’assassinat de la poésie
Le 11 septembre 1973, le général Augusto Pinochet renverse le président Salvador Allende, prend le pouvoir et fait baigner le Chili dans un bain de sang. Mémoire.
11 septembre 1973 : le sinistre Pinochet tente d’assassiner le Chili. Tout le mon savait déjà ce qui se tramait contre cette singulière démocratie, au visage fort sympathique, extrêmement belle, nous savions que la beauté était exécrée par les assassins de la poésie et que la grève des camionneurs ponctuée par des manifestations de rues animées par la droite réactionnaire préparait la chute violente d’une démocratie exemplaire. Parce qu’exemplaire, elle faisait peur.
Je ne peux m’empêcher aujourd’hui, plus de quatre décennies après, de penser au Chili et à Salvador Allende en voyant ce qui se passe au Brésil et en Bolivie. Comme je ne peux comprendre le remplacement du général Hugo Pratts, très proche de l’Unité Populaire, par le sinistre Augusto Pinochet. Qui avait poussé Allende à armer la main de l’assassin en limogeant Pratts ?
Santiago n’a pas fini de fêter la victoire de l’exemplarité quand commencèrent les processions funèbres qui allaient faire couler le sang de ces dizaines de milliers de femmes et d’hommes qui avaient osé dire non. Ce sang allait permettre à l’espoir de dessiner les contours d’une libération future. Pinochet fut chassé sans dignité.
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Je ne peux oublier ce poète que nous aimions tant dont on connaissait surtout Le chant général, Pablo Neruda qui mourut quelque temps après le coup d’Etat, qui se leva, comme un roc, illuminant le ciel d’espérances à venir. Il y avait aussi le souvenir de Victor Jara dont on avait coupé les doigts, ses beaux doigts de guitariste et de chanteur talentueux avant de le fusiller le 16 septembre 1973. Il y avait aussi ces belles chansons de Maxime Le Forestier et de Colette Magny (Chili, un peuple crève), ces artistes et ces intellectuels, à travers le monde, qui avaient dit non. Qui oublie le stade national transformé en camp de concentration réunissant une quinzaine de milliers d’opposants torturés et parfois fusillés ?
Le football ne pouvait être de la fête. La FIFA laissa faire et permit même au gouvernement chilien de programmer des matches à la fin novembre 1973 dans ce qu’on appelait à l’époque « le stade de la mort ». L’URSS refusa de jouer ce jour de novembre 1973 sur un terrain « souillé du sang des patriotes chiliens » (communiqué). Je me souviens, lycéen à l’époque, j’avais apprécié ce geste. Il y avait aussi ce footballeur de légende, seul joueur chilien évoluant à l’étranger, Carlos Caszely qui défia le dictateur en refusant de lui serrer la main. La même chose se produisit, certes, au Brésil, dictature militaire, qui vit le vrai animateur des Corinthians, Socratès, s’opposer ouvertement aux militaires.
J’ai la chair de poule en évoquant ce souvenir qui fit, malgré tout, le lit de la résurgence des forces de progrès en Amérique latine. Je ne sais pas, mais on chante toujours à Santiago et ailleurs. Pablo Neruda, Victor Jara et Carlos Caszely sont toujours là, dans leur immensité. Je ne sais pourquoi j’ai toujours aimé Caszely et Socratès qui aiment les mêmes poètes que moi, le même architecte, Niemeyer… Salvador Allende, ami de Jara et de Neruda, était un poète, un romantique, un immense « paysage humain », pour reprendre ces mots tendres de Nazim Hikmet. Pinochet est dans les chiottes de l’Histoire. Le Chili a retrouvé l’espoir.
Ahmed Cheniki