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De la portée historique du Printemps berbère
Appelé communément « événements du printemps Berbère », la révolte populaire d’avril 1980 est incontestablement l’un des événements majeurs du jeune Etat indépendant. L’onde de choc se fait sentir jusqu’a présent, y compris au sein du processus révolutionnaire en cours enclenché depuis février 2019.
Le printemps berbère de 1980 représente le premier mouvement populaire post indépendant qui a remis en en cause d’une manière frontale, l’autorité du régime, jusque-là assez consensuel. Une dynamique populaire qui a pu « ébranler » les fondements et la légitimité politique d’un régime issue de la guerre de libération nationale et assez redistributif, ouvrant ainsi une nouvelle ère politique.
Le processus de la contestation est d’abord venu du nouveau centre universitaire de Tizi-Ouzou où, depuis son ouverture en 1977, des groupes politiques marxisants se sont constitués et qui se sont investis dans des luttes syndicales étudiantes et ouvrières. En 1979, les étudiants ont déclenché un mouvement de grève illimitée sur des revendications socio-pédagogique, puis sur la problématique de la représentativité dans les structures universitaire.
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«La grève de 1979, c’est le début d’une page qui s’écrit d’une manière unique, celle de rassembler les enseignants, étudiants et les travailleurs dans une structure qu’ils ont fait émerger et qu’ils vont faire émerger un mouvement qui sera aussi un mouvement unique dans l’histoire de l’Algérie… », affirme l’un des animateurs principaux du comité estudiantin et ex-détenu du printemps Berbère, Aziz Tari.
Ce sont ces mêmes groupes qui contrôlent le comité qui vont inviter Mouloud Mammeri pour faire une conférence pour présenter sa dernière œuvre « Poèmes kabyles anciens », une conférence qui fut interdite et qui va ouvrir un nouveau cycle de contestation politique qui s’étendra jusqu’aux événements du 19 Mai 1981 à Alger et à Béjaïa.
L’interdiction de la conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri va provoquer un large mouvement de contestation qui embrase toute la région de Kabylie, notamment avec l’intervention des forces au sein même de l’université de Tizi-Ouzou la nuit du 20 avril 80 et l’arrestation de certains animateurs, dont 24 ont été traduits devant la cour d’Etat.
La réaction à la bastonnade ne s’est pas fait attendre, des émeutes ont éclaté dans toute la Kabylie du 20 au 25 avril, des comités de solidarité ont vu le jour, soit dans l’Algérois, l’Oranie ou en Kabylie. Un réseau de solidarité qui a pu aussi mobiliser le monde du travail, grâce aux liens tissés par certains cercles du FFS et des groupes marxisants au sein de certaines unités de production de la région, à l’hôpital et y compris dans l’administration locale, notamment après l’appel à la grève générale du 16 avril 80.
Proclamation du Mouvement culturel berbère
Suite à la nouvelle dynamique créée après l’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri le 10 mars 1980 et l’extraordinaire mobilisation autour des revendications de l’université, un nouveau sigle apparaît sur l’échiquier politique, à savoir le Mouvement Culturel Berbère (MCB). Un mouvement qui se veut fédérateur de toutes les énergies et militance pour la promotion de la langue et de la culture amazighe, de l’Arabe populaire et du respect des libertés démocratiques.
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A cette époque-là, on ne peut parler d’un mouvement structuré, mais d’une « mouvance », avec une « lâcheté organisationnelle ». Clandestinité oblige, les divergences politiques au sein de cette mouvance ont empêché toute tentative de structuration, malgré l’élargissement de son influence dans la société, notamment dans le secteur jeune. Les clivages politiques entre les acteurs du mouvement se sont accentués lors du premier séminaire du MCB à Yakouren, dans la wilaya de Tizi-Ouzou, du 1er au 30 août 1980. Une situation qui demeure ainsi jusqu’à l’avènement du pluralisme politique après les événements d’Octobre 1988.
Les significations du printemps berbère
Le Printemps berbère constitue un tournant décisif pour la revendication amazighe et donne le coup de starter pour un long processus de contestation politique de l’Algérie post-coloniale. Il a permis le début d’une nouvelle reconfiguration du champ politique au niveau local et national. Il marque l’amorce d’un nouveau processus qui remet en cause « l’unanimisme » ambiant et met à nu les contradictions du régime de l’époque. Pour une fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante, les locaux du parti unique sont attaqués massivement par les émeutiers. Une nouvelle génération d’acteurs politiques indépendants du régime et issus de différents horizons politiques rentre en scène. Ces acteurs politiques ont pu ratisser large au sein de la population locale et réussir la jonction politique entre plusieurs secteurs, à savoir l’université, le monde du travail et les masses populaires.
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Le mouvement d’Avril 80 a aussi permis d’impulser une nouvelle dynamique dans les organisations politiques clandestines de l’époque, des ruptures politiques au seins de l’opposition politique (notamment au sein du FFS) et construire des passerelles entre le mouvement contestataire : le mouvement syndical, étudiant, femmes, enfants de chouhada et plus tard le mouvement des droits de l’Homme. Bref, il jette les fondements d’un nouveau processus démocratique de l’Algérie indépendante et crée de « nouvelles légitimités» dans la mémoire collective, les enfants d’Avril 80. Une notoriété et un capital symbolique que les acteurs vont exploiter au lendemain du pluralisme politique pour fonder et rallier la population au sein de leurs structures politiques respectives.
Nature et caractéristiques du mouvement berbère
Le Printemps berbère représente un tournant majeure dans le processus de revendication berbère, de la contestation démocratique, ainsi que dans le répertoire des mouvements sociaux en Algérie. Il s’est distingué à l’époque par les problématiques mises en avant, par ses modes d’organisation, d’action et de mobilisation. On peut même le qualifier de « révolutionnaire » dans le contexte de début des années 80, car il a pu remettre en cause publiquement monopolisation de la vie politique et les choix politico-idéologiques du parti unique. La question amazighe n’est aussi nullement posée en tant que minorité « ethnique » ou « raciale », pour les acteurs c’est une revendication démocratique.
Contrairement a certaines thèses ethnocentriques, voire même exotiques, le mouvement culturel berbère avec toutes ses ramifications dans le champ des mouvements sociaux, n’est pas le prolongement des structures tribales, tel que Tajmaât (assemblée villageoise). Il s’est construit en dehors de ces structures traditionnelles, en dehors de ses représentations politiques et archaïsmes, en dehors des structures du parti unique, et il ne plaide pas à un retour aux modes de vie des ancêtres. A travers sa littérature politique apparaît comme un mouvement social moderne et qui pose des questions d’ordre politique et culturel avec une conception moderniste et lutte avec des outils modernes. Le sociologue Brahim Salhi, analyse mieux le phénomène : « La contestation identitaire de 1980 n’est pas globalement dans une posture rétrospective par rapport à la société kabyle. Au contraire, en raison de ses modes d’organisation, des profils et des univers de ses acteurs, de leurs trajectoires, et de son articulation avec le local, elle s’inscrit fondamentalement dans une posture prospective et emprunte beaucoup au registre de la modernité politique. En effet, le mouvement de 1980 se cristallise autour de noyaux actifs, basés essentiellement dans trois lieux centraux : l’université, l’hôpital, et la Société nationale de l’électroménager (Sonelec). Notons que ces institutions étaient occupées par les contestataires et que les principaux mots d’ordre et actions étaient élaborés à ce niveau. Sur le plan politique, les comités en place, notamment celui de l’université, ne sont pas monolithiques mais traversés par des sensibilités différentes ».
De l’identité politique des acteurs
Comme nous l’avons signalé au début de cette recherche, le mouvement de revendication amazighe est le fruit d’un long chemin parcouru par plusieurs générations de militants politique, y compris celle qui ont contribué plus tard à construire le Front de libération nationale (FLN).
Cependant ceux qui ont construit le MCB ont évolué dans des cadres politique, en dehors des structures du parti unique. Ils sont issus de plusieurs courants d’opposition au régime, à savoir le Front des forces socialistes (FFS), le Parti d’avant-garde socialiste (PAGS), le Groupe Communiste Révolutionnaire (GCR- PST), le MCA (Mouvement communiste Algérien), le CLT (Comité de liaison des trotskystes algériens -OST), ORT (Organisation Révolutionnaire des Travailleurs), ainsi que plusieurs se réclamant du marxisme ou de l’anarchisme.
Au début des années 1980, on sent plutôt la dominance des courants marxisants, chose qui apparaît à travers une certaine analyse matérialiste de la problématique identitaire et linguistique amazighe. Les résolutions du premier séminaire de Yakouren l’atteste, parmi les revendications du MCB : le socialisme scientifique et ce, par opposition au socialisme « spécifique » du régime de l’époque, chose ordinaire dans une étape historique marquée par la dominance du courant de Gauche dans le monde, notamment dans la jeunesse scolarisé.
Les identités politiques des acteurs du mouvement berbère ont évolué au fil des années, où le courant socio-démocrate a pris le dessus, notamment après la chute du mur de Berlin et la contraction de l’influence de la gauche communiste sur la scène politique nationale. Le retour du FFS et l’apparition du RCD ont accéléré le processus. Ces derniers ont dominé idéologiquement et organiquement le mouvement berbère. Les principaux animateurs du MCB ont rejoint ces partis, dont ils sont devenus cadres et des élus, soit au niveau national ou local. C’est aussi grâce à ces acteurs que ces deux partis se sont construits au niveau national et devenus hégémoniques dans toute la région de Kabylie, qui est devenue leur chasse gardée depuis l’avènement du pluralisme.
Mais quelques années après, notamment avec l’échec du boycott scolaire (1994-1995) et les événements de 2001, nous assistons à une montée sensible d’un courant « éthniciste » au sein du mouvement identitaire berbère, conduit par les autonomistes et les indépendantistes. Malgré l’évolution de ce courant « éthniciste », la majorité des acteurs se réfèrent encore à des principes démocratiques universelles et aux valeurs historiques arabo-berbères, ainsi un fort attachement à la révolution du 1er Novembre 1954 et au congrès de la Soummam (août 1956).
Une matrice
Incontestablement, le Mouvement culturel berbère est une matrice politique qui a structuré et qui continue au jour d’aujourd’hui de structurer la pensée et la pratique politique dans le champ politique, syndical et associatif.
Malgré les tiraillements et les échecs, il a été une école de formation pour plusieurs générations de militants politiques qui se sont forgés dans la pratique révolutionnaire. Son empreinte, on la trouve dans tous les espaces de lutte qu’a connus le pays depuis des décennies.
On continue à trouver ses traces dans le processus révolutionnaire en cours, notamment chez les collectifs, comités et regroupements politiques qu’a produit le hirak populaire, soit dans les formes d’organisation, de la diversité politique et de la radicalité de masse. Alors abreuvons-nous des sources d’Avril 80.
Samir Larabi
Très belle littérature vraiment.
C’est dommage seulement que beaucoup ont tiré profit de ce mouvement.
Où sont passés tous les activistes du mouvement.
Beaucoup se dorent au soleil.
Peut importe les noms des activistes, peut importe ce qu’ils deviennent, l’essentiel c’est le message du mouvement du printemps berbère, l’essentiel c’est l’idée émancipatrice.
Bonne analyse à lire à relire à analyser ..
Dans l Algérie de Massinissa jugurta kahina dihia les berbère s et les kabyles souffrent tout le temps avant la guerre de libération puis durant la guerre 19 colonels sont des kabyles krim belkacem amirouche abane ramdane… Après 62 morts de 800 moudjahidine du Ffs non reconnus en 80 revendication de tamazight répression en 94 grève du cartable en 2001 assassinats de 128 jeunes kabyles pour leur langue berbère plus 5000 blessés par les gendarmes. En dec2019 près de 20 jeunes rendus aveugles par les CRS du pouvoir maffieux algérien jusqu’à quand cette injustice et impunité des crimes contre les… Lire plus »