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Omar Achir : « Il faut multiplier les labos de dépistage »
Omar Achir, ancien assistant au service pneumologie à l’hôpital de Béni Messous d’Alger, est spécialiste en pneumologie établi depuis des années dans le secteur privé.
DzVID : En tant que spécialiste en pneumologie et exerçant dans le secteur privé, êtes-vous impliqué dans la lutte contre le nouveau coronavirus ? Avez-vous été contacté pour rejoindre le secteur public et renforcer le personnel soignant ?
Omar Achir : Les médecins du secteur privé ou public, chacun à son niveau, participent à la lutte contre le Covid 19. Il s’agit d’une crise mondiale qui interpelle toutes les consciences et toutes les forces vives et pas que les médecins d’ailleurs.
Concernant la pratique médicale dans le secteur privé, il faut dire que notre mission est très difficile du fait de la haute contagiosité du virus mais surtout vu le manque flagrant de moyens de protection personnelle. Résultat : cette situation expose d’une part nos familles au risque d’être contaminées et d’autre part constitue un maillon de transmission du virus aux malades non contaminés par les différents outils de travail non jetables comme le stéthoscope, le tensiomètre et autres objets contaminés se trouvant dans le cabinet (portes, bureau, chaises, interrupteurs, etc).
Quant à la deuxième partie de la question, je vous dirai que jusqu’à preuve du contraire, les autorités n’ont pas fait appel aux professionnels de la santé qui sont dans le secteur privé. Et je vous assure que nous sommes prêts d’accomplir notre devoir de soignants pour peu qu’ils fassent appel à nous.
Comment est organisée la lutte contre le coronavirus en Algérie ?
Omar Achir : Tous les pays du monde ont été pris de court par cette épidémie. L’organisation pour faire face à la maladie s’est faite dans la précipitation et s’est avérée inefficace. En Algérie comme ailleurs dans le monde, on découvre que les systèmes de santé tout comme les modèles de gestion sont obsolètes.
Néanmoins, il faut dire que progressivement l’organisation s’améliore par la mise en place de groupes de gestion de cette urgence sanitaire qui affecte tous les secteurs de la vie, composés en gros d’une partie qui assurera la logistique et d’une partie composée notamment d’experts en épidémiologie et autres experts en médecine.
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Ce groupe de travail déterminera ce que nous avons comme infrastructures et moyens disponibles dans l’immédiat et quelles sont les autres ressources et moyens à mobiliser progressivement selon les besoins.
L’urgence c’est de protéger le personnel soignant pour lui offrir toute la sécurité nécessaire dans l’exercice de sa mission puisque c’est la première ligne de lutte. Les objectifs, c’est d’abord ralentir et rompre la chaine de transmission surtout par le confinement et la mise en quarantaine par le dépistage ensuite traiter les patients contaminés et à terme mettre en route un vaccin.
Par contre, la sensibilisation des populations en temps réel sans aucune rétention de l’information s’avère importante. La sensibilisation dans les langues populaires, assurer le minimum vital à tous, même à ceux qui ont cessé toute activité et alléger, voire supprimer les impôts et les charges à l’instar de tous les pays pour instaurer une sorte de confiance, qui aidera certainement à une meilleure organisation dans l’application de certaines mesures contraignantes telles que le confinement ou la mise en quarantaine des sujets contacts ou suspects.
Pensez-vous que les mesures de confinement partiel suffisent ? Ne faut-il pas aller vers un confinement généralisé et multiplier les dépistages ?
Omar Achir : Le confinement total est un mal nécessaire, il faut à mon avis l’appliquer avant que les choses n’échapperont à tout contrôle et sombrer dans le chaos si le système de santé s’écroule. Pour l’instant, il faut dire quand même que les structures de santé ne sont pas encore dépassées même si la pression est là. Cependant le confinement doit être accompagné par d’autres mesures telles que l’accès aux produits alimentaire de base.
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Il faut également d’autres mesures aussi impératives qu’importantes en l’occurrence les opérations de dépistage qui devraient être menées à grande échelle, notamment dans l’entourage du patient grâce à des équipes par exemple mobile, conduites par un épidémiologue ou un médecin. Ce qui implique que la multiplication des laboratoires de dépistage s’avère d’une nécessité vitale. Par ailleurs, il y a aussi lieu de craindre par contre le pire avec cette épidémie vu sa dangerosité et les données politiques, culturelles économiques et sociales du pays.
L’Algérie a-t-elle les moyens et les équipements médicaux de protection pour faire face cette épidémie ?
Pr Omar Achir : Je pense qu’en dehors de quelques rares pays, surtout asiatiques, il n’y a aucun pays qui peut faire face seul à l’épidémie actuelle. On a vu presque tous les pays du monde importer des bavettes et autres matériels de Chine et là nous ne faisons pas exception.
Cette crise, faut-il le noter, n’est pas seulement sanitaire. Elle est multidimensionnelle, c’est-à-dire est aussi économique, politique, sociale, culturelle, sécuritaire… Mais sur le plan humain, je pense que nous avons ce qu’il faut pour peu qu’on mette les moyens à disposition. Même les grandes puissances se sont retrouvées désarmées et sans grands moyens face à l’épidémie…
Ils sont rare les pays, pour ne pas dire aucun, qui peuvent répondre à temps et à une demande de patients aussi afflue et régulière, et surtout dans un espace bien précis. Cela explique d’ailleurs pourquoi, de par le monde, il y a eu la réquisition du personnel médical, des hôpitaux militaires, de campagne, de fortunes, etc. On a vu naître en Chine, en Italie, en Espagne, en France, aux Usa, etc., ce genre d’hôpitaux de circonstances. Chez nous, je dirai qu’on a tardé de le faire.
N’est-il pas temps d’arrêter avec cette tendance mondiale à « marchandiser les soins » ?
Omar Achir : En Algérie et même ailleurs dans le monde, il y a longtemps depuis que l’argent est érigé en maître absolu, voire en Dieu. Le monde fonctionne à l’heure de la finance mondiale. Des philosophes et des intellectuels l’ont dit, « une certaine élite de par le monde veut s’enrichir quitte à tuer la moitié de l’humanité et à détruire toute la biodiversité s’il le faut».
On voit aujourd’hui dans le monde les fabricants de médicaments, les laboratoires, et d’autres secteurs encore pris par cette fièvre du gain facile à n’importe quel prix, il s’agit là des limites du libéralisme. Mais-là, il faut s’attendre aux conséquences ; elles peuvent être fâcheuses et imprévisibles. J’espère que cette épidémie mondiale servira de leçon et remettra en cause les modèles de gestion et notre façon d’entrevoir la vie en apprenant à partager cette planète et ses richesses avec tous les vivants tout en la préservant pour les générations futures.
Que vous inspirent les propos sur LCI de ces deux « professeurs français » qui disent vouloir tester leurs vaccins sur les populations africaines ?
Omar Achir : Je ne connais pas et je ne comprends pas les intentions de ces médias et ceux qui soutiennent ce genre de pratiques. De tels actes s’apparentent aux expériences réalisés par les nazis dans les camps de concentration durant la deuxième guerre mondiale. Les nostalgiques de l’esclavagisme et du colonialisme sont toujours à l’œuvre. L’Afrique n’a pas demandé à ce qu’on lui ramène une quelconque religion ou une civilisation. Les Africains se sont des gens qui vivaient en harmonie avec la nature depuis la nuit des temps et ils ont, de par leur histoire, combattu toutes formes de colonialisme, pour servir aujourd’hui de cobayes à des forces occultes.
Entretien réalisé par Kamel Lakhdar-Chaouche