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Lahouari Addi : Pour en finir avec la diversion sur l’islamisme
Au moment où le pays exprime un profond désir pour la démocratie, certaines personnes agitent le « bourourou » islamiste alors que les jeunes chantent « ma’tkhawfounach bel âachria » (Vous ne nous faites pas peur avec la décennie noire, ndlr).
Jamais le pays n’a exprimé un attachement aussi fort pour la démocratie qu’aujourd’hui. Car c’est quoi la démocratie ? C’est le fait que le public – et le public, c’est le hirak – accule les dirigeants et leur demande des comptes sur la gestion de l’autorité publique. Les dirigeants, les vrais, c’est-à-dire les généraux, ont peur et essaient de trouver la parade pour échapper à cette situation. Ils utilisent des diversions, et la question islamiste en est une.
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L’islamisme est un courant d’opinion qui existe et qui existera dans le futur, et il est possible qu’il évolue vers une forme de parti conservateur « social ou démocrate-musulman » comme l’Europe a connu les chrétiens-démocrates. Pour des raisons historiques et culturelles, l’Algérie restera musulmane comme l’Europe est encore chrétienne. Cela n’a pas empêché l’Occident de se séculariser.
La sécularisation en terre d’islam est inéluctable car la séparation du politique et du religieux est une nécessité historique auquel les islamistes ne pourront jamais s’opposer. Et même eux commencent à parler de distinction du religieux et du politique. Car ils ont compris qu’on n’élit pas quelqu’un parce qu’il fait la prière ; on l’élit parce qu’il sert l’Etat et les intérêts du public.
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Ne pas voir que le discours islamiste a évolué comme ont évolué toutes les composantes de la société par rapport aux années 1990, c’est rester bloqué en regardant le rétroviseur. Bien sûr, Ali Belhaj avait déclaré en 1989 que la démocratie est kofr, mais aujourd’hui il dit que le seul régime qui correspond à l’islam, c’est la démocratie.
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Cela n’empêche pas que l’islamisme reste un courant populiste attaché plus à l’identité religieuse de la communauté nationale qu’aux libertés de l’individu. Mais l’islamisme est-il le seul courant populiste en Algérie ? Est-ce une raison suffisante pour refuser qu’il participe aux élections ? A-t-on les moyens de l’exclure du champ institutionnel autrement qu’en faisant appel à l’armée ? Les démocraties occidentales n’ont-elles pas fonctionné avec des partis non démocratiques ? La démocratie intègre aussi des courants non démocratiques à qui elle impose le jeu démocratique en dehors de leurs structures.
Le défi politique en Algérie, c’est d’intégrer les islamistes dans le jeu institutionnel afin que la confrontation soit idéologique et non physique, sur la base de principes garantis par la Constitution, dont la liberté de conscience. Ce débat est malheureusement mené avec une conception statique du jeu politique et une conception atemporelle de la démocratie.
La démocratie n’est pas un modèle atemporel, c’est une expérience en cours obéissant à des rapports de forces qui prennent leur origine dans la société. La démocratie est un processus et le plus important est de sauvegarder la liberté d’expression et l’alternance électorale. Ces deux principes lui permettent de se renouveler au-delà de la volonté des acteurs. On dira que la démocratie, ce sont aussi des valeurs. C’est vrai, mais les valeurs se consolident dans le débat contradictoire et dans les luttes idéologiques.
On avancera aussi que l’islam est incompatible avec la démocratie. En tant que religion, l’islam est compatible avec un régime fasciste comme avec un régime démocratique. Il n’y a aucun verset « politique » dans le Coran, à l’exception de celui qui demande à obéir à celui qui a l’autorité. Oublie-t-on que l’un des versets du Coran dit explicitement « pas de contrainte en religion », ce qui permet de justifier et de défendre des lois qui garantissent la liberté de conscience ? Ce n’est pas parce que la théologie médiévale musulmane est contre la démocratie (comme la théologie médiévale chrétienne du reste) que l’islam est contre la démocratie.
L’Algérie est un jeune Etat-nation et il est condamné à être démocratique pour sortir de la culture de l’émeute et de l’autoritarisme. Nous avons besoin d’apprendre la culture civique de tolérance. Le début sera difficile et le pays a déjà souffert. Est-ce qu’on empêche un enfant de marcher sous prétexte qu’il va tomber ? Le hirak pacifique a montré que cet enfant a grandi et qu’il peut marcher tout seul sans l’aide de tuteurs.
Lahouari Addi
Le 14 mars 2020
40 ans de vie » universitaire pour un article d’une débilité mesquine.