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Jetez-les en prison et on verra quoi leur coller
En Algérie, l’appareil judiciaire est dans le flou. Des dizaines de citoyens sont régulièrement arrêtés au cours des manifestations qu’organise le peuple algérien chaque vendredi et mardi, depuis plus d’une année.
Certaines arrestations (personnes âgées, jeunes filles, malades, simple citoyen) ont été opérées dans le tas des manifestations. Arrêtez-les et jetez-les en prison et on verra après quoi leur coller comme chefs d’inculpation. Que se passe-t-il ? Ces manifestants sont jetés en prison pour des accusations qui relèvent du ridicule et de l’absurde : port du maillot du club sportif (JSK), port de l’emblème berbère, attroupement illégal, incitation à la violence.
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Cependant, il y a des arrestations ciblées, qui ne se font guère dans la masse des manifestants. Il faut dire que certaines de ces dernières ont été synonymes d’enlèvement. Elles se sont déroulées selon un scénario hollywoodien. Des équipes de services spéciaux se présentent dans des domiciles privés, arrêtent des citoyens qu’ils conduisent dans les caves de la police politique pour un interrogatoire musclé. Ils seront remis entre les mains de procureurs de service qui ne savent prononcer que « Mandat de dépôt ». L’appareil judiciaire retiendra à leur encontre des chefs d’inculpation allant « de l’atteinte à la sécurité nationale », jusqu’à « l’atteinte au moral de l’armée », en passant par « l’atteinte à l’unité nationale.»
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Le système algérien est un cas d’école pour les dictateurs en herbe et autres apprentis sorciers ! Il évolue et s’adapte à l’air du temps et en fonction des diverses mobilisations populaires. Depuis le coup d’Etat contre les instances légitimes du GPRA, les militaires au centre du système algérien ont toujours su tirer leurs marrons du feu. Ils ont pu faire face tant aux résistances et aux soulèvements populaires qu’aux guerres civiles les plus sanglantes. Aujourd’hui encore, en pleine révolution du Sourire que le monde entier salue, pour son pacifisme et civisme dans un environnement régional et international peu stable, le système continuera-t-il encore à ignorer la volonté du peuple ?
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Pourquoi tant de procès, de tribunaux, de médiatisation, d’intox, de désinformation, de propagande, de diabolisation de l’opinion publique ? Pourtant, les prévenus sont des personnalités nationales. Ce sont des militants politiques et des droits de l’homme. Ce sont des journalistes, etc que le peuple encense. Ce peuple, qui crie à gorge déployée leurs noms à travers les quatre coins du pays, avec fierté. Y compris au Maghreb, à Paris, à Bruxelles, au Canada, à Londres, aux USA… Ce peuple qu’on ignore. Leur tort est d’avoir prêté leurs voix au peuple, qui dénonce la militarisation de la vie politique et revendique un Etat de droit. Un Etat civil, et propose des voies de sorties de crises.
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Le cas de Karim Tabbou, une personnalité nationale et politique née des luttes des nouvelles générations post-Octobre 88, a été arrêté chez lui par une équipe des services de sécurité en civil. Il a été remis aux services spéciaux avant qu’il ne soit jeté dans le trou pour enfin l’accuser d’ «atteinte au moral de l’armée et atteinte à l’unité nationale ». Cet état de fait renseigne sur la guerre psychologique que mènent les vrais décideurs contre le peuple, en s’attaquant à ses nouvelles icônes et ses repères. Ils iront jusqu’à le priver de ses porte-voix et plumes, de sa conscience. On serait tenté ici de nous rappeler les procès des tribunaux d’Aussaresses.
Mais comme répliqua Ben M’hidi à la face de ses bourreaux lors de son arrestation, alors que la mort l’attendait à peine à quelques pas : « Je ne suis pas le chef du FLN, tous les Algériens sont des Ben M’hidi.» N’est- ce pas ce que crie le peuple: « Nous sommes tous des Bouregaa, des Tabbou, des Boumala…etc. Quel tribunal pourrait avoir le courage de condamner son peuple ? Y a-t-il un juge aussi supérieur que le Peuple ?
Même la machine monstrueuse du système n’arrive pas à dissuader les Algériens. La manipulation, l’intox, les intimidations, les bastonnades et les arrestations n’ont pas eu raison de la détermination de la société décidée à en finir avec les pratiques de ce système pourris jusqu’à l’os. Les Algériens croient dur comme fer décidément à la victoire de leur soulèvement, et ce, quel que soit le prix à payer. Ils ont fait siens de cette citation de la reine Victoria, du Royaume-Unis: « Merci de comprendre qu’aucun pessimisme n’est toléré et que la possibilité d’une défaite n’existe pas ».
Kamel Lakhdar-Chaouche
Excellente analyse. Ce rappel des faits met en lumière le désarroi du régime face à la réalité sociable. Ce régime a suscité le mépris mais pas que. En effet, notre détermination à nous dresser contre l’oppression est devenue un état d’esprit et une raison de vivre.