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Ali Aït Djoudi à DzVID : « Le hirak est une dynamique à préserver »
Dans le cadre de la sa série d’entretiens sur le hirak, DzVID a interviewé le président de l’ONG Riposte Internationale, Ali Aït Djoudi, un animateur de la diaspora, qui donne son appréciation d’une année de mobilisation et de lutte.
DzVID : Une année déjà depuis que le Mouvement populaire s’est mis en marche pour s’opposer au 5e mandat et revendiquer une rupture radicale avec le système. Quel bilan en faites-vous, en tant que Riposte internationale, au nom de la diaspora ?
Ali Aït Djoudi : Permettez-moi d’abord de saluer la détermination de notre peuple dans sa volonté de changement radicale, détermination qui n’a pas faibli depuis un an. Aussi, de notre point de vue nous, ne pouvons pas réduire cet élan révolutionnaire à une réaction au 5e mandat du président Bouteflika mais à plusieurs lames de fond qui ont travaillé notre société depuis le traumatisme de la guerre civile. Les velléités d’autonomie de notre peuple se sont exprimées de façon claire et au grand jour à l’occasion du cinquième mandat.
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A la fois, le changement radical portée comme revendication majeure dans un cadre pacifique qui continue d’en étonner plus d’un. Si on devait s’exprimer en terme de bilan, il faut noter les deux niveaux :
1- Sur le plan politique, la révolution a accouché de nouveaux paradigmes qui montrent l’évolution de la pensée politique au sein de la société, incarnée par des revendications claires comme celle de l’instauration d’un Etat civil et la rupture avec cet Etat militaire qui a donné naissance à cet état profond qui a en plus de son caractère prédateur pris en otage l’ensemble de la société et c’est ce qui justifie amplement la persistance de cette revendication.
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2- Sur le plan sociétal, la présence des citoyennes algériennes en masse s’inscrit aussi dans cette perspective de libération des énergies, posant de fait celle de la place de la femme en tant que citoyenne libre, jouissant de tous ses droits.
Les Algériens se sont réapproprié leur histoire, la réhabilitation de la plate-forme de La Soummam et de ses architectes Larbi Ben M’hidi et Abane Ramdane et des autres acteurs participe de la mise à nu du régime. Ce qui est à signaler aussi ce sont les échanges et les débats entre Algériens sans éluder aucune question. Il y a de la maturité dans cette révolution où la différence est plutôt vécue comme une richesse, ce qui a d’ailleurs permis de disqualifier les tentatives du régime de semer la division, notamment avec l’histoire de l’emblème amazigh.
Quelle lecture faites-vous de la question des détenus politiques et d’opinion ?
Ali Aït Djoudi : L’une des constantes des régimes répressifs est le déni à la libre parole, à la liberté de penser, de se réunir… L’une des obsessions du régime avant le début de la révolution était d’interdire les cafés littéraires ou toute autres activités dont il ne serait pas l’inspirateur, voire faite à sa gloire.
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Il faut rappeler à ce propos le décès de Mohamed Tamalt dans des conditions inhumaines dans une prison de la République et la mort du militant des droits de l’homme Kamel Eddine Fekhar après un acharnement judiciaire sans précédent ! Des morts dont devraient répondre un jour ou l’autre toutes les autorités sécuritaires, judiciaires et politiques !
La nature du régime se révèle aussi à travers l’instrumentalisation de la justice qui met en prison des citoyennes et des citoyens qui ne font pourtant que manifester pacifiquement.
La libération des détenus politiques et d’opinion reste une exigence minimale de la révolution dans laquelle Riposte internationale s’inscrit totalement. Ce qui a été utilisé comme épouvantail n’a pas réussi dans sa mission mais au contraire a agi comme un catalyseur. L’état d’esprit de celles et ceux qui sont libérés après leur remise en liberté n’a en rien entamé leur détermination, et Riposte internationale s’est toujours tenue à leur côté et au côté de leur famille.
Pensez-vous que les choses ont changé depuis l’élection controversée de Abdelmadjid Tebboune ?
Ali Aït Djoudi : Faut-il rappeler que toutes les tentatives du système visaient sa propre régénération, opposant une fin de non-recevoir aux revendications légitimes du peuple par les arrestations et la répression. On ne peut pas qualifier la mascarade électorale ayant vu l’élection de Abdelmadjid Tebboune de réussite !
D’une part, l’empressement à aller vers l’organisation des élections présidentielles obéissait plus à des impératifs de géopolitique internationale qu’à une démarche de sortie de crise en interne. D’autre part, le système s’est offert un sursis tant ses propres contradictions profondes ne tarderont pas à se révéler au grand jour. L’épisode du DG des douanes passera pour une anecdote, comparé à celles qui toucheront le partage de la rente.
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La pérennisation de cet élan révolutionnaire n’est pas une fin en soi mais une réponse à une situation de blocage structurelle imposé par cette entité qui se cache par des subterfuges que le peuple a mis à nus. Ce ne sera qu’une question de temps parce que ses contradictions toucheront l’ensemble de la société civile, ce qui fera basculer les rapports de forces en faveur de la transition démocratique.
Qu’en est-il de la diaspora et des actions et initiatives entreprises jusqu’à présent ?
Ali Aït Djoudi : La diaspora ne prétend à rien en terme de leadership mais reste à l’écoute des Algériens et des Algériennes où qu’ils soient. La particularité et les marges de manœuvre dont elle dispose l’obligent plus qu’autre chose. Elle s’inscrit pleinement dans les revendications du hirak. La diaspora en tout état de cause ne ménage aucun effort en se dotant de cadres d’échange, de lieux de rencontres, de conférences à même de permettre à l’ensemble des citoyens résidents à l’étranger d’apporter leur pierre à cet édifice.
Le mouvement populaire, une année après, doit-il continuer ainsi sans s’organiser, sans projet affirmé positivement ? Pourquoi l’auto-organisation fait-elle défaut à la révolution pacifique ?
Ali Aït Djoudi : Les tentatives de structuration de la révolution peuvent être vouées à l’échec tant celle-ci a accouché de nouveaux paradigmes et je dirais même qu’elle a consacré de nouvelles légitimités. La volonté de « structuration » dans la précipitation risque d’être contre-productive. Le mouvement est dans une courbe ascendante, sa phase de maturation est en cour. Des propositions d’organisation fusent çà et là mais beaucoup oublient le caractère inédit de ce que nous vivons actuellement.
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Notre challenge est justement dans de nouvelles formes d’organisation. Cette révolution est le bien le plus précieux dont dispose aujourd’hui le peuple algérien. Le mouvement populaire actuel est un instrument, une dynamique à préserver. Il constitue en lui-même un moment fondateur, alors préservons-le, accompagnons-le, sans tentation aucune, mais avec le sens des responsabilités que les enjeux nous imposent.
Que pensez-vous de la revendication d’une Assemblée constituante ?
Ali Aït Djoudi : Je demeure convaincu que l’élection d’une Assemblée constituante est une revendication centrale et stratégique qui prend tout son sens dans une période de crise comme la nôtre. Le système traverse une crise de légitimité, entamant considérablement son crédit et le crédit de toutes les institutions de l’Etat algérien.
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Il est primordial, sinon vital que toute l’Algérie aille vers l’élection d’une Assemblée constituante, représentative de toutes les sensibilités de la société algérienne. Une Assemblée qui rédigerait une Constitution plus consensuelle et respectée, qui donnerait naissance à des institutions plus légitimes et souveraines et qui fonderait une République qui fera des besoins politiques et sociaux de la majorité de la population des droits inaliénables !
Entretien réalisé par Kamel Lakhdar-Chaouche