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Ali Brahimi : « Le salut de la révolution est dans l’auto-organisation citoyenne »

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Ali Brahimi

Ali Brahimi revient dans cet entretien sur le bilan du mouvement populaire enclenché depuis février 2019, parle des acquis du hirak sur lesquels il sera difficile de revenir et estime que « le salut de la révolution est dans l’auto-organisation citoyenne ».

DzVID : Une année déjà depuis que le Mouvement populaire s’est mis en marche pour s’opposer au 5e mandat et revendiquer une rupture radicale avec le système. Quel bilan en faites-vous ?

Ali Brahimi : Il est extraordinaire. Les deux premiers acquis sont la Silmya (lutte pacifique) et l’unité d’action populaire qui sonnent comme des leçons durement apprises de la dispersion et souvent du caractère émeutier des batailles passées.

Le peuple a déboulonné un potentat en place depuis 20 ans, empêché 2 élections présidentielles et réduit le nombre de participants au scrutin à 1,6 million d’électeurs à l’échelle nationale.

Ce faisant il a dénudé le commandement militaire forcé à paraitre comme le seul pouvoir réel et donc l’usurpateur réel de la souveraineté populaire depuis toujours.

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La corruption endémique du système et de son personnel est étalée au grand jour dans la rue sans personnage tabou. Des dignitaires de premier rang sont jetés au rebut et/ou mis en prison, d’autres sous enquête judiciaire même s’il y’a beaucoup à dire sur les griefs pris en compte ou ceux délibérément ignorés par les procès…

A moins de continuer à les imposer sous protection armée, les élections fraudées par les appareils d’Etat sont derrières nous. Le zéro vote kabyle et le 8,27 % arraché au forceps hors de Kabylie sont aussi significatifs l’un que l’autre.

Le peuple a d’un revers de main mis à terre l’historiographie fallacieuse en se réappropriant la vraie Histoire et ses symboles.

Le peuple a refusé clairement et massivement -et ce n’est pas le moindre acquis -de tomber dans les pièges des diverses divisions que le système a cultivées depuis l’indépendance et ressorti ouvertement et officiellement en menant une véritable guerre subversive contre l’unité nationale. Il a au contraire prôné le respect et la promotion de sa diversité.

C’est un formidable mouvement de brassage citoyen et historique inclusif et positif de toutes les diversités dont est riche notre société.

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Est-ce pour autant que le nouvel ordre démocratique revendiqué par le peuple révolutionnaire a irrémédiablement gagné la partie ? Loin s’en faut ! Fort de son contrôle et de la discipline idéologique des appareils répressifs de l’Etat et de la rente pétrolière, de l’interdiction du débat public citoyen et de la complicité intéressée des puissances étrangères, le système a démarré une opération de reconfiguration forcée du champ politique des acteurs disséminés ou ralliés dans le Hirak.

Face à cette stratégie à multiples facettes, le salut de la révolution est dans l’auto-organisation citoyenne (en amont du hirak) et la concertation citoyenne et partisane autonome pour cristalliser un consensus national autour des revendications phares du « Hirak ». De ce consensus politique national naîtra naturellement un rapport de force populaire en faveur d’une transition démocratique indépendante du système et d’un processus constituant souverain qui déconstruise les mécanismes policiers du système autoritaire et jette les jalons d’un nouvel ordre démocratique avant toute élection quelle qu’elle soit.

Quels sont concrètement les acquis du mouvement populaire sur lesquels il sera difficile de revenir ?

D’abord, l’irruption du peuple profond dans l’équation de l’exercice du pouvoir et du fonctionnement du champ politique. Désormais tous les acteurs devront tenir compte de l’existence d’une opinion publique forte et surtout libre, de la liberté et de l’ouverture sur l’universel que lui permettent les réseaux sociaux.

La fierté nationale qui faisait la caractéristique de l’Algérien qui avait consenti le sacrifice de son sang pour vaincre le colonialisme. Le renforcement de l’identité nationale vécue dans sa riche diversité n’est pas un moindre acquis. Elle couronne admirablement l’union réalisée par la guerre de libération nationale dont le peuple révolutionnaire se réapproprie les symboles humains et événementiels (Abane Ramdane, Amirouche, El Haouès, la bataille d’Alger, la prise de pouvoir violente de l’Armée des frontières en 1962…) en dénudant la légitimité historique usurpée derrière laquelle se réfugiaient l’abus et l’arbitraire d’Etat.

La dénonciation des concessions du pouvoir en faveur des puissances étrangères pour s’acheter une légitimité et une protection externes montre que l’Algérien est loin d’avoir renoncé à la quête de véritable indépendance et à l’ambition d’être aux premiers rangs des Nations.

L’instrumentalisation de la religion semble aussi avoir vécu si l’on s’en tient à l’échec des Zaouiyas, Imams et autres formations islamistes clientes à amadouer l’insurrection populaire.

Le refus de toute origine militaire ou sécuritaire à l’exercice du pouvoir met fin à l’ère du pacte social autoritaire plus ou moins consenti à l’époque des vaches grasses. Le mythe du père de la Nation et du Zaim a aussi vécu emportant avec lui les suites interminables de mandats présidentiels ou autres.

Pour le reste les solutions et mécanismes qui basculeront l’envie de changement radical dans l’irréversible institutionnel avancent dans la conscience des citoyens. L’exigence de transition indépendante de la tutelle du système et de ses symboles a conquis des pans très larges de l’opinion publique ; la nécessité d’une Assemblée constituante souveraine aussi…

Les dépassements de la police enregistrés ça et là, l’instrumentalisation de la justice, avec les diverses condamnations, et l’arbitraire de l’Exécutif comme la mutation-sanction du procureur de Sidi M’hamed, sont autant de faits qui indiquent qu’ils n’ont tiré aucune leçon de soulèvement…

L’usage des appareils de répression ne relève pas de la compréhension ou non de la leçon. Il révèle surtout que le système a été poussé dans ses derniers retranchements où se dévoile sa nature militaire et mafieuse à travers la seule légitimité réelle qu’il possède, celle de la détention du monopole de la coercition.

C’est clair que le système refuse de changer. D’ailleurs le peut-il quand bien même le voudrait-il, fragmenté en clans mafieux sans leader commun reconnu ? Tous les acteurs ont déjà vérifié, souvent à leurs dépens, que le changement de l’intérieur du système autoritaire mafieux est impossible en Algérie. Seule une situation de sédition sociale massive, comme celle que nous vivons depuis un an, peut – et à condition qu’elle dure – peut forcer le changement en accentuant le désordre et les divisions internes du cœur nucléaire au point de lui faire perdre progressivement l’obéissance aveugle des différents appareils de répression qui ont jusqu’ici fait preuve d’une discipline supra professionnelle, idéologique même. L’une des principales leçons d’un an d’insurrection citoyenne est que la persistance et la détermination de la révolution nourrissent les fractures au sein des tenants du pouvoir et se nourrissent d’elles.

Et même là, encore faut-il que les acteurs dans la révolution comprennent qu’ils doivent défaire intelligemment les alliances internationales plus ou moins douteuses qui ont donné au système, durant un an, toute latitude pour perpétrer coup d’Etat sur coup d’Etat sans que l’opinion publique internationale ne s’émeuve outre mesure. Seuls le maintien de la mobilisation populaire et l’auto-organisation citoyenne en amont du « Hirak » clôturera le cycle moribond d’un système qui n’existe plus que par l’exercice arbitraire du monopole de la violence institutionnelle et l’accaparement et contrôle de la rente pétrolière.

Après l’élection présidentielle du 12 décembre dernier, y a-t-il lieu de dire que le système a gagné la première bataille contre le mouvement populaire en imposant sa feuille de route par étape. Qu’en pensez-vous ?

Avant l’avantage formel de la remise en place de sa devanture civile, le système autoritaire a essuyé plusieurs défaites cinglantes à commencer par l’échec du 5ème mandat jusqu’au scrutin avorté du 4 juillet où il a été forcé à recourir à son troisième coup d’Etat en 6 mois, la déposition de Bouteflika et l’annulation de l’élection du 18 avril étant les 2 premiers.

La désignation de Abdelmadjid Tebboune est une réussite très relative en ce sens qu’elle laisse entière l’illégitimité institutionnelle (8,27% de votants soit moins de 2 millions sur 24) et qu’elle reconduit et entretient pour longtemps encore les fractures du noyau nucléaire du pouvoir. Et pour preuve son échec à changer le seul DG des Douanes, sa léthargie ou au minimum son manque d’assurance sur la question du dialogue avec le vrai peuple insurgé au-delà des clientèles acquises.

Sans oublier qu’elle n’a pas du tout altéré remarquablement la force de l’insurrection citoyenne laquelle campe sur l’exigence radicale de construction souveraine et démocratique d’un nouvel ordre politique hors de la tutelle du pouvoir réel. La révolution démocratique en cours est une lame de fond durable qui transforme déjà sous nos yeux la culture politique et l’être social des Algériennes et Algériens. Elle aboutira, à plus ou moins à courte terme, à la chute du système mafieux et au triomphe de l’Etat de Droit et de l’Etat civil. Le temps de la dictature militaire et sécuritaire et révolu.

Contrairement au passé où le système avait réussi à la contenir politiquement dans une seule région, aujourd’hui l’exigence de démocratie et d’Etat de droit, d’Etat civil…trouve des réseaux diversifiés et pluriels présents dans le moindre quartier et village du territoire national sans oublier dans la diaspora qui est, comme de coutume, une cheville ouvrière du combat patriotique. L’enjeu est d’enchevêtrer et mailler ensemble ces réseaux pour forcer l’Histoire à accoucher de la liberté dont elle enceinte.

Le PAD peut-il constituer une voie de sortie de crise ?

Le PAD est composé de partis, d’organisations citoyennes et de personnalités qui ont un ancrage solide dans le courant de l’opposition démocratique. Actuellement, c’est le seul pole qui a fait siennes totalement les revendications fondamentales portées par la révolution citoyenne dont il s’estime partie prenante.

Son document fondateur daté du 26 juin reprend toutes les revendications du Hirak et propose une transition démocratique indépendante du système et un processus constituant comme moyens sûrs de concrétisation des demandes du peuple insurgé. La Convention du 9 septembre a ajouté un mécanisme institutionnel fondamental de cette transition démocratique qui est celui d’une Conférence nationale indépendante du système et qui inclurait tous les acteurs politiques qui adhérent aux objectifs de la révolution populaire.

Les assises des forces composant le PAD, le 25 janvier dernier, ont permis l’adoption d’une plate forme qui exige avant tout l’ouverture d’un processus démocratique à travers la fin de toutes les mesures de répression contre les militants et citoyens et la levé de l’interdiction de toute vie publique libre.

Telle qu’elle est énoncée, c’est une solution démocratique pacifique et raisonnable qui n’exclut aucun courant politique qui adhère aux revendications du Hirak et qui accepte la souveraineté populaire et refuse la violence pour arriver ou se maintenir au pouvoir. L’indépendance exigée pour la Transition démocratique et la future Conférence nationale signifie seulement un refus de laisser ces deux moyens de changement sous la tutelle du système en place.

Il reste au PAD et c’est mon opinion personnelle, d’explorer maintenant et au plus vite les voies d’un consensus national élargi aux autres forces et personnalités qui adhérent aux revendications du hirak et à la nécessité d’une transition démocratique autonome avant tout recours au suffrage universel stérile lorsqu’il est actionné dans le cadre du système actuel.

Le défi aujourd’hui est de construire un rapport de force national et populaire qui impose au système de négocier son départ pacifique.

Entretien réalisé par Kamel Lakhdar-Chaouche

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