Chronique
L’opinion publique algérienne intéresse Washington
Avoir l’idée de sonder les Algériens est singulier. Savoir ce que pensent nos concitoyens n’est pas courant.
Pas plus d’ailleurs que se demander ce que pensent les Congolais, les Boliviens ou les Sri Lankais de leur situation sur ce versant-ci de l’univers.
C’est d’autant plus hilarant que les Américains ne se préoccupent guère de l’opinion de ceux qu’ils veulent soumettre: ils achètent ou ils bombardent. Ou ils sous-traitent, aux subalternes et aux supplétifs. Exemple : l’affaire libyenne à Paris et à Londres, comme naguère Suez (1956).
Seuls les peuples « élus », les peuples « civilisés » ont droit à l’attention des gouvernants et des entreprises et veulent connaître leur avis sur tel ou tel problème, question, produit ou politique.
Voilà qu’un étrange institut américain s’intéresse à l’opinion des Algériens.
Pour tenter d’en savoir un peu plus sur un phénomène politique étrange, inconnu (au moins depuis Gandhi et la « marche du sel », en mars 1930), pour ainsi dire perturbant et inquiétant car des gros intérêts transnationaux sont en jeu, ou bien plus probablement pour commencer à influencer les acteurs en lançant une première campagne comme un cailloux dans la mare aux canards et d’observer comment les volatiles vont réagir.
Les sondages servent plus par les réactions qu’ils produisent que par les informations qu’ils révèlent. Ainsi va la « démocratie » qu’on tente de nous vendre.
Que des agents étrangers soient infiltrés aussi bien dans les rouages de l’Etat (et peut-être, plus inquiétant, au sein même de l’armée) que dans les rangs des manifestants, rien de surprenant à cela. Il ne faut pas être naïf : l’Algérie par ses richesses naturelles et sa position géostratégique entre Afrique et Méditerranée représente un enjeu de première grandeur.
Pendant que les négociateurs négocient, que les tribunaux embastillent, que les généraux tracent des plans de campagne, que des manifestants papotent et rédigent leurs dazibaos, que… les puissances étrangères, chacun pour le compte du mieux disant ou du mieux rossant, via leurs ambassades, leurs réseaux indigènes, leurs associations d’entreprises… préparent le coup suivant.
Parallèlement, ils sondent…
Les sondeurs ne sont pas n’importe quels sondeurs. Ils ne relèvent pas d’une institution civile ou d’une université. Bien qu’il soit difficile de trouver une entreprises ou une université d’importance aux Etats-Unis qui n’a pas d’attaches sérieuses, profondes, organiques avec le Pentagone ou les services de sécurité – divers et variés- qui en relèvent peu ou prou.
Ils n’y a que nos amis européens et plus précisément français qui nous rabattent les oreilles avec les équations du genre : militaires = dictature et nous invitent à voir ailleurs. Car la défense nationale est au coeur de leurs protocoles de décision, quand ce ne sont pas les transnationales (appelons-les par le mot que Eisenhower a utilisé pour les désigner : «Complexe militaro-industriel ») qui pilotent les gouvernements et les Etats, avec une vitrine civile destinée à amuser les galeries.
En Algérie, nos « démocrates » se contentent du «système». Alors que le vrai problème n’est pas «qui », mais «pour quoi faire» ?
Les urnes servent souvent à promouvoir les démocrates pour y ensevelir la démocratie.
Laissons cela et revenons à ce sondage publié par l’hebdomadaire Le Point de ce samedi 10 août. Je vous joins les résultats du sondage plus bas.
Le Point, l’hebdo de BHL et Cie, révèle les préoccupations masquées de nos amis gaulois. Des manifestations algériennes, on parle de moins en moins (chuuuut, il ne faut surtout pas faire une publicité au « mauvais » exemple : des manifestants qui ne cassent pas et une armée qui ne tire pas, ce n’est pas « normal ») mais on s’en soucie de plus en plus.
Ce qui se passe à Hong Kong où les manifestants brandissent le drapeau américain, à Moscou où les ONG font leur « boulot », à Caracas sous embargo, à Paris et dans les villes françaises jaunies par la contestation, à Ghaza prison à ciel ouvert qui ne trouble aucune « Haute Conscience »… c’est « normal » comme on dit pas chez nous.
En Algérie, le comportement des citoyens ne l’est pas.
C’est pourquoi l’Algérie est sous microscope multispectral, avec ou sans sondages.
QUESTIONS À PROPOS DES QUESTIONS DU SONDAGE ET DES SONDEURS
1.- Quelle est la part des Algériens qui manifestent par rapport à celle qui ne manifeste pas ?
2.- Quelle est la part des Algériens qui ne manifestent pas et qui n’a nulle envie de le faire ?
3.- Payer des sondés est un réflexe purement américain. Dans quelle mesure cette incitation a eu un impact sur le taux de participation et, plus grave, a trié les sondeurs et donc a biaisé les résultats de la consultation ?
4.- Quelle signification accorder au contenu même des réponses ? Le flou habite les questions et les réponses.
Exemple : comment interpréter ce que les sondeurs appellent « le consensus pour le changement », avec cette interprétation trop rapide : Pour les experts américains, « la majorité des sondés veulent une refonte complète du système politique ». Que veut dire politiquement, concrètement une « refonte complète » ?
5.- A la question : « Qui pour gouverner le pays »
– Pourquoi n’avoir proposé que 8 noms aux sondés ?
– Pourquoi pas douze ?
– Pourquoi pas 4 ?
– Pourquoi ne pas avoir laissé la porte ouverte aux sondés et les laisser rester proposer les noms qui convient à chacun. Cela aurait été conforme à la question posée : « selon vous qui… ? » sans les enfermer dans une liste de noms préétablie ?
6.- Au fait qui est la « Brookings Institution » qui a entrepris ce sondage?
Il s’agit d’un Think Tanks américain situé à Washington. Présidé par le général quatre étoiles John R. Allen.
Avant de prendre sa retraite en tant que général du « United States Marine Corps », le président de Brookings, fut « commandant de la Force internationale d’assistance et de sécurité de l’OTAN et des forces américaines en Afghanistan ».
Traduisons : c’est la machine de guerre qui a fait – et continue de le faire – des millions de victimes depuis 2001, du Pakistan au Sahel. Le caractère « international » de la force en question est décoratif. Il montre qu’un certain nombre de troufions, venus d’un peu partout des Républiques bananières européennes sous contrôle américain, sont là uniquement pour les caméras et donner l’image d’une Amérique triomphante guidant le monde.
John R. Allen fut décoré de la Légion d’Honneur. (Qui ne l’est pas : il suffit d’avoir un « Oncle d’Amérique » qui a fait le « 06 juin 44 », avoir tourné un métrage invendable ou chanté à Las Vegas anonymement, ou encore avoir partagé l’intimité de Harvey Weinstein -le Vlad Tepes de Hollywood- pour se voir dérouler le tapis rouge à l’Elysée. Beaucoup, la refusent plus ou moins poliment. Il n’y a que les ploucs, avec les amateurs de prix littéraires, certains évadés de nos rivages, qui lui courent encore derrière. La breloque napoléonienne est en solde à Barbès.)
John Allen a été mêlé à une sombre histoire de moeurs impliquant le général David Petraeus. D’où sa mise à la retraite. Cette sombre affaire serait sans importance si le général Petraeus qui l’avait précédé au commandement de la « Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan » entre 2010 et 2011 n’avait pas été directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) de 2011 à 2012 en remplacement, sous B. Obama, de Leon Panetta pressenti alors pour devenir secrétaire à la Défense.
Tout le reste est de la tambouille pour chats écrasés et pour demeurés qui ont de la crème fraîche à la place du néocortex, qui ne savent pas ce que « Marines » veut dire et qui ignorent ce que les Américains font en Afghanistan depuis 2002 et en Irak depuis 2003.
Au fait quelqu’un sait-il pourquoi des officiers supérieurs du Pentagone vont effectuer une visite prochaine en Algérie ? On nous la tartine en prétendant qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un certain « programme de formation CAPSTONE», suite à une précédente visite en février 2017…
Il serait temps que nos autorités militaires éclaircissent leur ADN, leur stratégie, prennent leurs distance avec les dérives de l’époque Chadli, montrent qu’elles sont strictement collées à l’histoire de notre nation, la seul qui justifie leur existence et n’oublient pas que, derrière l’ANP, l’ALN est toujours là.
Si on n’a pas compris cela, on n’a rien compris à la multitude qui manifeste depuis février dernier, prétendant que c’est pour instaurer une improbable « démocratie représentative » qui fait de nombreux dégâts politiques dans les pays où elle sévit.
Si les Algériens culturellement et profondément iconoclastes, avaient besoin d’avoir un président, ils auraient érigé une statue d’or à Chadli et à Boutef depuis longtemps pour l’offrir à la fiente des oiseaux.
C’est pourquoi aujourd’hui nous sacrifions le veau d’or. Bonne fête à tous.
Djeha