Chronique
La mise à nu
« Comprendre, c’est se changer », a écrit Jean-Paul Sartre lorsqu’il a abordé les prémisses de la révolution française. En Algérie, le régime actuel ne veut pas comprendre, par ce qu’il est têtu. Il ne veut surtout pas comprendre cette aspiration au changement que des millions d’algériens expriment pacifiquement depuis maintenant deux mois. Sa stratégie hypocrite n’est ni celle d’un régime qui assume son autoritarisme, ni celle de celui qui compte se plier à la volonté populaire. Sa stratégie ressemble en fait à celle de l’espérance vécue d’un enfant gâté au ban de sa fratrie, qui n’a trouvé pour s’exprimer que le mensonge, la ruse et la supercherie.
Il en use et abuse afin de déformer la réalité, afin de dévier le cours des événements. Pris au piège de ses propres contradictions, le régime mobilise sa clientèle pour jouer au trouble fête et pour notamment parasiter, voire étouffer, le cri des algériens réclamant son départ. Mais il ignore que sa tentative de déformer le message des manifestants, est elle-même une manière de se déformer lui-même à travers eux. Ses réactions violentes nous confirment chaque jour qu’il panique d’où ses improvisations qui traduisent son pessimisme. Le pessimisme du régime actuel réside aussi dans le fait qu’il s’aperçoit quotidiennement qu’il est exclu du hirak ; il est à la fois en deçà et au-delà de l’optimisme révolutionnaire des femmes et des hommes qui se sont résolument engagés à lutter jusqu’à la satisfaction totale des revendications du peuple.
Le régime qui tente de gagner du temps œuvre pour que les choses évoluent en sa faveur, et ce en tentant de s’imposer par la violence et la répression. A travers la mise à nu des militantes dans un commissariat, à travers le « le gazage » des manifestants dans le tunnel des facultés et à travers les arrestations abusives, il veut montrer qu’il est la loi. La loi est évidemment, pour lui, la loi du plus fort.
C’est sa manière à lui de reconquérir une autorité qu’il ne cesse de perdre. C’est ainsi par exemple qu’on ne peut comprendre la mise à nu des militantes que comme une tentative obscène du régime de réaffirmer ses droits répressifs dans la violence. Car mettre à nu une femme dans un commissariat est pire que la torture. La torture des femmes, de l’avis des spécialistes des droits de l’homme, commence avec la nudité forcée, laquelle est d’ailleurs une constante des situations de torture dans nombreux pays. Une femme ne se sent jamais aussi vulnérable et impuissante que lorsqu’elle est mise à nu par la force.
Ce type de comportement est considéré par le protocole d’Istanbul comme acte de torture : novum et inau ditum toture genus ! (une forme de torture nouvelle et extraordinaire. Il s’agit donc d’un dérapage dangereux qu’il dénoncer vigoureusement. Dérapage qui n’a nullement affecté la mobilisation des jeunes militantes et militants qui ont su réaliser le dépassement de soi pour poursuivre la lutte.
Encore faut-il que ce dépassement soit pratique, c’est-à-dire qu’il se réalise à travers une organisation concertée à tous les niveaux et dans toutes les sphères sociales. Il ne suffit pas que le mouvement bénéficie passivement de l’avantage procuré par les erreurs cumulées du régime. Il faut qu’il les exploite.
Hacène Arab
Bien dit. J’adhère entièrement à cette analyse