Politique
Slim Othmani : « Ce véritable coup d’Etat va durcir la contestation en Algérie »
L’entrepreneur algérien et président de Care, estime que la décision du régime est contraire à la Constitution. Il minimise les risques de déstabilisation du pays ou d’émigration.
Les Algériens vont-ils jouer le jeu de la Conférence nationale initiée par Bouteflika avec le prolongement de son mandat ?
Mais pas du tout. Le véritable coup d’Etat contre la Constitution de lundi soir, avec ce prolongement hallucinant du mandat du président sans aucune base légale, va durcir le mouvement, qui va s’amplifier en faisant preuve pacifiquement de la même maturité que celle montrée depuis un mois.
Personne ne va cautionner la conférence nationale, sans aucune visibilité sur ses travaux, son calendrier, ses animateurs, qui n’est qu’un prétexte pour prolonger le quatrième mandat. Ceux qui considèrent que tout cela est une étape vers une démocratisation du régime commettent une erreur d’une grande naïveté.
Quelle peut-être la solution ?
Certains croient distinguer une ligne dure, incarnée par un des frères du président, Saïd Bouteflika, qui aurait perdu la main en raison de l’impossibilité d’une répression militaire, et une autre plus flexible, tenue par son autre frère, Nacer, qui a cru trouver une porte de sortie honorable. Mais vous croyez que le peuple algérien va attendre stoïquement des mois que ce clan sauve ses intérêts ?
Alors que l’économie est en outre dans une situation désastreuse, minimisée par les chiffres officiels.
En l’absence d’opposition représentative, il faut qu’une délégation issue de la société civile, la diaspora, les universitaires, les intellectuels, aille rencontrer Bouteflika pour le convaincre qu’il a perdu contact avec la réalité et qu’il doit partir immédiatement.Comment réagissent les milieux d’affaires ?
La très grande majorité partage cette analyse. Hormis ceux connectés politiquement, les entrepreneurs vivaient dans la peur et l’humiliation au quotidien d’un pouvoir qui leur faisait croire qu’ils leur devaient même l’air qu’ils respiraient.
Vous ne vous rendez pas compte en Europe du pouvoir du clan Bouteflika, qui contrôlait l’intégralité des leviers de pouvoir. Quand vous essayiez de faire avancer un dossier, même le plus subalterne, votre interlocuteur pointait silencieusement le doigt vers le haut pour dire « ça se décidera au sommet ».
Croyez-vous possible un scénario alternatif à celui du pouvoir, avec une transition pilotée par la seule société civile ?
Mais bien sûr. La société civile est préparée, outillée intellectuellement et financièrement pour assumer une transition pacifique. Il ne faut pas gober les éléments de langage du pouvoir selon lequel c’est Bouteflika ou le chaos, que l’islam politique est prêt à repartir à l’assaut, ou bien que des vagues migratoires vont déferler sur la France.
Vous avez constaté des flux de réfugiés depuis un mois, malgré une mer d’huile ? Les jeunes sur les réseaux sociaux disent qu’ils veulent rester dans leur pays, qu’on leur avait confisqué, ils débordent d’énergie et de créativité.
Il était difficile d’exprimer son potentiel ici en raison de la chape de peur et de corruption. Il n’y a aucune raison stratégique à ce que les pays occidentaux continuent de souvenir ce régime discrédité. Le peuple algérien adresse à ses dirigeants un message clair, net et précis : « Vous avez échoué. Partez ». Les Echos.fr