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Le gendre de Nasser a livré à Israël les plans de la guerre d’octobre 1973

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Achraf Marwan était-il un espion à la solde d’Israël, ou un agent double manipulant le Mossad sur instruction des services égyptiens ? L’homme est mort dans des conditions mystérieuses en 2007, emportant avec lui son secret.

6 octobre 1973. À 14 heures précises, les troupes égyptiennes et syriennes lancent simultanément une attaque coordonnée contre Israël dans le Sinaï et le Golan, progressant rapidement sur les deux fronts et enregistrant la première victoire arabe – même si elle est de courte durée – depuis la débâcle de 1948. Les dirigeants de l’État hébreu affirment avoir été pris de court pour justifier aux yeux de leur population leur échec. Celui-ci provoque un séisme politique, allant jusqu’à entraîner la démission, en avril 1974, du chef du gouvernement Golda Meïr.

Voici pour l’histoire officielle. Et si la vérité était plus compliquée ? Car les plans de l’attaque ont été transmis, avant son déclenchement, à Israël par un certain Achraf Marwan, qui n’était autre que le gendre du raïs égyptien Gamal Abdel Nasser. Quarante-cinq ans après la guerre d’Octobre, le mystère demeure autour de « l’Ange », le plus fameux nom de code du personnage. Achraf Marwan était-il l’espion le plus haut placé qu’Israël ait jamais recruté dans un pays arabe ? Ou était-il un agent double ? L’homme est mort en 2007 à Londres dans des circonstances mystérieuses, assassiné, selon sa veuve Mona. Et l’Égypte lui a réservé des funérailles quasi nationales. Un film tout récent,The Angel, reprend la version basée sur le livre du chercheur israélien Uri Bar Joseph, selon laquelle l’homme aurait été un fidèle agent du Mossad, mais un réalisateur égyptien travaille actuellement sur un film le présentant comme un héros au service de son pays, ayant trompé les Israéliens. Retour sur une histoire qui n’est pas près d’être élucidée…

« Je m’appelle Achraf Marwan »

Londres, printemps 1969. Un homme appelle l’ambassade d’Israël : « Je m’appelle Achraf Marwan et j’ai des renseignements sur l’Égypte », dit-il. Le Mossad saisit la balle au bond, d’autant plus que le gendre de Nasser, âgé de 25 ans et qui effectue de fréquents séjours dans la capitale britannique pour terminer ses études de chimie, avait déjà attiré son attention par son train de vie bien au-dessus de ses moyens et ses dettes, qui semblent avoir irrité son puissant beau-père. Premier échange d’informations d’une valeur inestimable pour l’État juif, qui paye grassement sa nouvelle recrue, selon le livre de Marius Schattner et Frédérique Schillo, La guerre du Kippour n’aura pas lieu : comment Israël s’est fait surprendre.

En septembre 1970, le président Nasser meurt d’une crise cardiaque, juste après avoir négocié un accord pour mettre fin aux combats qui faisaient rage en Jordanie entre l’OLP et les troupes du roi Hussein. Israël craint d’avoir perdu son atout, mais c’est le contraire qui se produit : alors qu’il semblait peu apprécié par le raïs, Achraf Marwan manœuvre pour gagner la confiance de son successeur, Anouar Sadate, n’hésitant pas à prendre son parti contre les anciens fidèles de Nasser.

Si son titre officiel n’est que « secrétaire aux questions d’informations auprès du président Sadate », Achraf Marwan devient conseiller du nouveau raïs et accède aux secrets les mieux gardés de l’État. Il en transmet certains au Mossad. Il est aussi chargé par Sadate de missions auprès de pays arabes comme l’Arabie saoudite ou la Libye, où il fait la connaissance de l’impétueux colonel Mouammar Kadhafi. L’une de ces missions est particulièrement délicate : Kadhafi élabore les plans les plus fous, comme le bombardement du port de Haïfa, en riposte à la mort de 108 passagers et membres d’équipage d’un avion libyen en février 1973, abattu par Israël au-dessus du Sinaï lorsqu’il avait dévié de sa route en raison d’une tempête de sable. L’Égypte l’en dissuade et fait par contre semblant d’adhérer à son plan d’abattre un avion d’El Al au moment de son décollage de Rome pour Tel-Aviv, en septembre 1973. Et c’est Achraf Marwan qui remet au commando de Septembre noir à Rome les missiles acheminés par la valise diplomatique qui doivent être utilisés.

Il alerte alors le Mossad, et l’opération sera déjouée, renforçant ainsi son prestige auprès des services secrets israéliens. Mais une autre thèse, assez probable, existe : les services égyptiens auraient manipulé le dirigeant libyen et fait eux-mêmes avorter l’opération.

Au loup !

Dans le film The Angel, on voit Achraf Marwan lire à son fils la fable du berger qui criait au loup et que personne n’a cru lorsque le loup est vraiment arrivé. Un peu comme une allégorie de ce que se serait produit avec la guerre d’Octobre : dès 1972, « l’Ange » fait savoir au Mossad que les Égyptiens préparent une offensive avant la fin de l’année, tout en soulignant le caractère inconsistant de Sadate. Puis, deuxième fausse alerte : il annonce l’attaque pour le 15 mai 1973, en fournissant des plans détaillés. Là encore, rien ne se produit. En septembre, Achraf Marwan informe les Israéliens que la guerre est repoussée jusqu’à la fin de l’année.

Entre-temps, c’est le roi Hussein de Jordanie qui avertit Israël qu’une offensive se prépare. Et ce n’est que le 4 octobre qu’Achraf Marwan se manifeste, appelant depuis Paris, où il se trouve, son officier traitant pour l’informer que l’offensive égypto-syrienne est pour bientôt, sans préciser de date, et proposer de rencontrer à Londres le chef du Mossad, le général Zvi Zamir.

Ce dernier prend immédiatement l’avion. Dans une chambre d’hôtel de la capitale britannique, Achraf Marwan lui annonce que l’offensive conjointe syro-égyptienne sera déclenchée le lendemain, à la tombée du jour, pour que les Israéliens aient le soleil en face d’eux.

Mais c’est à 14 heures que les armées égyptienne et syrienne lancent en fait leur attaque simultanée. « Les plans égyptiens prévoyaient initialement que l’attaque commencerait effectivement au crépuscule, mais l’heure H a été avancée à 14h à la demande des Syriens. Il se peut que Marwan n’ait pas été tenu au courant de ce changement d’heure, décidé dans le plus grand secret. Il se peut aussi qu’il ait été chargé de tromper les Israéliens », écrivent Marius Schattner et Frédérique Schillo.

Révélations

Achraf Marwan, qui a moins communiqué par la suite de renseignements au Mossad – surtout qu’Israël et l’Égypte ont fait la paix en 1978 – n’aura plus de fonctions officielles à partir de 1976. Il se convertit en homme d’affaires prospère, s’établit à Londres et tombe dans l’oubli.

Jusqu’aux révélations dans un livre, publié en 1993 par le général Eli Zeira, ancien chef des renseignements militaires israéliens, La guerre du Kippour, échec et leçons , dans lequel il affirme qu’un agent double a trompé le Mossad par deux fausses alertes. Il ne donne pas l’identité de « l’Ange » mais un chercheur israélien, Ahron Bregman, s’en charge en décembre 2002.En juin 2003, Achraf contacte Bregman, lui affirme que le Mossad « cherche à se venger de lui », et annonce qu’il va écrire un livre pour présenter sa version des faits et prouver sa loyauté à l’Égypte.

Les deux hommes restent en contact et devaient se rencontrer une deuxième fois le 27 juin 2007 à Londres… Mais Achraf Marwan ne vient pas : il meurt en tombant du balcon de son appartement dans la capitale britannique. Des témoins affirmeront avoir vu deux hommes sur le lieu du crime présumé.

Selon le Daily Telegraph, Achraf Marwan, qui avait 63 ans, écrivait ses Mémoires, lesquels ont été volés de son domicile à sa mort. Sa veuve, Mona, crie à l’assassinat, et affirme à la justice britannique qu’il lui avait dit avant son décès : « Je suis en danger, je pourrais être tué par mes ennemis. »

L’ex-gendre de Nasser a droit à des funérailles quasi nationales en Égypte. Le président de l’époque, Hosni Moubarak, le qualifie de « patriote fidèle à son pays ». Achraf Marwan « a accompli des actes patriotiques qu’il n’est pas encore temps de révéler », dit-il.

Jusqu’à aujourd’hui, on ne sait pas s’il a servi son pays ou s’il l’a trahi.

Le filmThe Angel, sorti le 14 septembre sur Netflix, basé sur le livre, soutient qu’Achraf Marwan aurait agi parce qu’il se sentait méprisé par le président Nasser, et aussi par appât du gain. Mais ces raisons sont-elles suffisantes pour trahir son pays, surtout lorsqu’on est un personnage aussi haut placé ?

Après le lancement du film, un communiqué officiel égyptien a de nouveau défendu la thèse du Caire, affirmant qu’Achraf Marwan est « le dernier martyr de la guerre d’Octobre ». « Le Mossad a tenté de mettre en cause son allégeance à sa patrie à travers le film L’Ange, qui constitue une reconnaissance implicite du succès du plan de l’Égypte, sous la direction d’Anouar Sadate, pour leurrer stratégiquement Israël », a affirmé le texte.

Et un réalisateur égyptien, Hani Sami, a annoncé avoir obtenu l’approbation de la censure pour le scénario de son film, L’Agent, qui racontera l’histoire d’Achraf Marwan en montrant « comment il a été loyal jusqu’au bout » envers l’Égypte. L’Orient le jour

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